Tout a commencé une journée qui s’annonçait des plus ordinaires. À l’époque, je traversais les incommensurables terres ocres et vertes de ce continent-pays que les colons d’occident, après s’en être dûment accaparé, avait fini par baptiser « Australia ». Près d’un an après le début de mon périple, j’avais fait étape dans ce coin perdu du Territoire du Nord, principalement peuplé d’aborigènes et de mineurs d’Uranium. J’y travaillais en tant que commis dans un supermarché et je me retrouvais de nouveau confronté à ce démon irascible, cette créature du diable dont mes précédents gagne-pains agricoles m’avait jusqu’alors épargné : l’enfant de deux ans. Car pour ceux qui en douteraient encore, il est en effet assez rare de tomber nez à nez avec un enfant de cet âge à 6h du matin dans un champs de houblon et lorsque toutefois cela se produit, ben c’est flippant !
Ces émanations méphistophéliques donc, par leurs assauts quotidiens de cris aiguisés et de larmes morveuses, avaient bientôt réussi à réveiller en moi cet instinct va-t-en-guerre que le Vietnam de 75, avait pour ce que j’en savais, fait mourir. Jusqu’à ce fameux jour où cette interrogation fugace m’est apparue, tel un pique-assiette, un écumeur de table qui sonne à votre porte une journée de repos d’un mois de mai ensoleillé : et si ces mini-moi destructeurs n’étaient en fait que les témoins d’un système de consommation défaillant et inadapté ? Et si ces hurlements à la mort n’étaient que l’expression primitive d’un animal vivant livré en pâture à des flammes ardentes. Et si ces bulldozers de bas étages premiers prix n’étaient finalement ni plus ni moins que des lanceurs d’alerte incompris ? Ces petits soldats pue-le-pipi venaient d’ouvrir en moi une porte vers la lumière de la vérité. Ne t’en fais pas, petit Julian Assange en herbe, je marche à tes côtés désormais. Afflige-nous de ta colère, merdeux, continue de t’égosiller en faisant la toupie en plein milieu du stand de chips que je venais tout juste de réapprovisionner. Tu ne trouveras en moi jamais plus rien qu’un ami. Et dire que tes parents pensent encore pouvoir acheter ton silence à coût de Twix et de Milka tendrement chocolat… Mais ils sont fous. Ils ne font que repousser la terrible échéance de l’épicerie d’un jour plus sombre encore, lorsque le prix de ton mutisme aura décuplé dans le but de jouir de ce que tout enfant loin des guerres et des conflits de ce monde se doit d’obtenir.
Le lendemain, j’ai démissionné de cet enfer capitaliste afin de tracer mon chemin vers une remise en question réformiste du système de consommation occidental et des enjeux économiques qui en découlent.
Aujourd’hui, j’ai 37 ans, pas d’enfants, je suis reporter d’investigation pour France 3 Bourgogne/Franche-Comté, et j’ai un duplex depuis la fête de la Saucisse à Morteau qui commence dans 6 minutes.