Avez-vous déjà entendu parler du syndrome de Stockholm ? Ce terme est apparu après une prise d’otage dans la ville suédoise du même nom en 1973. Un phénomène psychologique assez curieux s’y était alors produit : les otages, malgré leur situation de victime, s’étaient pris d’une étrange affection pour leurs ravisseurs, adoptant leur point de vue idéologique jusqu’à en prendre la défense. Dans cette situation, le crime est avéré et tout le monde s’entend sur la nature illégale et immorale de l’acte.
La semaine dernière, un ancien chef de l’État (Nicolas Sarkozy pour ne pas le citer), était reconnu coupable et condamné à un an de prison ferme pour financement illégal de campagne électorale. En mars dernier, il était reconnu coupable de corruption et trafic d’influence, dans une tout autre affaire, et condamné à trois ans de prison, dont un ferme.
Malgré ses deux ans fermes cumulés, Nicolas Sarkozy ne mettra jamais un pied en prison.
Vous vous souvenez de Patrick Balkany, qui avait été condamné à cinq ans de prison fermes, qui ressort au bout de cinq mois pour raisons de santé, et que l’on voit danser dans la rue à la fête de la musique quatre mois après sa sortie ? Et le ministre de la Justice, Dupont-Moretti, mis en examen pour prise illégale d’intérêts ?
L’ère Macron, après moins de 5 ans de mandat, ce ne sont pas moins de 4 condamnations, 11 mises en examen, et 13 enquêtes en cours au sein du gouvernement. (Source : http://www.regards.fr/politique/article/trois-ans-en-macronie-2-condamnation-10-mises-en-examen-et-7-enquetes-en-cours)
« Il n’a jamais tué personne. »
Pour rester dans l’ambiance scandale, les Pandora Papers (après les Panama Papers de 2016), enquête menée par le Consortium International des Journalistes d’Investigation, viennent de révéler que la somme des actifs dissimulés dans des paradis fiscaux de manière illégale ou légale s’élèvent à… 11 300 milliards de dollars ! 11 300 000 000 000 de dollars ! On me dit dans l’oreillette que la dernière fois qu’on a vu autant de zéros les uns à côté des autres, c’était lors du dernier conseil des ministres.
Dans toutes ces affaires, qui secouent régulièrement la sphère politico-médiatique sans aucune autre forme d’effet que moi balançant ma tasse de café à travers la pièce, manquant de peu d’allumer le chat que je n’ai pas, il n’est majoritairement question « que » d’argent. Aussi, j’entends parfois dire avec un brin de lassitude : « Oui hof… Il n’a jamais tué personne. »
Je dirais que cela reste à prouver. Considéreriez-vous que votre conjoint vous a menti, si vous découvriez aujourd’hui qu’il voit régulièrement quelqu’un depuis six mois ? Pourtant vous ne lui avez jamais posé la question, alors il n’a jamais eu à mentir en vous disant : « Non, je ne vois personne ». Cela ne porte-t-il pas néanmoins le nom de mensonge par omission ?
Et quelqu’un qui ignore sciemment un homme seul en détresse, appelant au secours dans la rue ? A-t-il sa part de responsabilité si ce dernier décède ? Aux yeux de la loi, oui, et cela se caractérise par de la « non-assistance à personne en danger ».
Finalement, à quoi servent les impôts ? À financer, mais à financer quoi ?
Enseignement, sécurité, justice, solidarité, transports, culture, sports… Grâce aux impôts, nous bénéficions au quotidien de nombreux services publics, parfois sans nous en rendre compte.
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Et par solidarité, entendez aussi santé.
Si vous vivez en ville, vous êtes encore relativement à l’abri, en quelque sorte, de la désertion du service public. Jusqu’à quand, c’est une autre question… De retour de voyage, je me suis à nouveau installé au domicile parental, en campagne, et depuis trente-et-un ans et le jour de ma naissance, j’en ai vu des choses changer. Il y avait, par exemple, dans le village d’à côté, un bureau de poste, ouvert six jours sur sept, avec des horaires journaliers normaux de bureau de campagne. Puis il a fermé. Puis celui du village un peu plus loin. Restait alors un dernier bureau de poste qui avait évolué au fil des années : ouvert cinq jours sur sept, trois heures par jour. C’est peu, surtout pour le seul bureau de poste du coin. Alors les nouveaux horaires sont tombés : pour bénéficier d’un service postal au rabais, ici, il faut se présenter les jours d’ouverture de 9h15 à 11h15, soit une fenêtre de deux heures par jour, cinq jours par semaine. Autant dire qu’il faut bien tomber et ne pas avoir de boulot. Ou tout simplement ne pas avoir besoin d’y aller. En ce qui concerne le service bancaire de la Poste, c’est différent : il faut rouler une demi-heure pour trouver l’agence la plus proche. Mais, me direz-vous, il ne s’agit ici que de papier et de colis, pas de quoi en faire un drame.
Lorsque j’étais gamin, il y avait une école primaire au milieu du village. Et si on remonte encore un peu, il y avait même une petite école au milieu de chaque village ou presque. Aujourd’hui, les écoles sont de moins en moins nombreuses et de plus en plus grandes.
On entend beaucoup dire que le corps enseignant est souvent en grève. Allons bon, de quoi diable se plaint-il ? Il a un salaire digne, des vacances tout l’été et tout au long de l’année, alors il peut quand même bien supporter vingt cinq élèves dans sa classe, non ? La vraie question, si vous avez des enfants, c’est comment pouvez-vous le supporter ? Car un seul enseignant pour autant d’élèves, c’est forcément moins de temps d’accompagnement personnalisé, d’explication, de reformulation et de patience pour le vôtre, et par conséquent une réduction de ses chances à lui. D’accord, bon. Là encore il n’y a pas mort d’homme, admettons. Du moins si on omet la corrélation entre le niveau d’éducation d’un pays et la criminalité qui s’y développe.
« La mort par omission »
Alors, on a bien applaudi tous les soirs à 20h pour remercier le corps médical de son engagement dans la crise du COVID-19 ? Écoutons au moins ce qu’il a à dire. L’un de ces petits villages dont je vous parlais s’est illustré dans le journal cette semaine : son centre de soins dénonce la désertion médicale. En effet, on a bien du mal à y faire revenir durablement un médecin généraliste depuis que le précédent est parti en retraite il y a une bonne dizaine d’années. Depuis des décennies, la profession médicale demande plus de personnels, plus de lits dans les hôpitaux, une amélioration des conditions de travail, bref, plus de moyens. Aussi, un responsable politique qui s’adonne au plaisir coupable de « l’optimisation fiscale », pour garder la discussion en eau légale, ne finit-il pas inévitablement par provoquer ce que j’appellerais « la mort par omission », en quelque sorte ? La famille d’une personne qui décède dans le service des urgences parce qu’elle n’a pas été prise en charge à temps faute de personnel, de salle, de matériel (tous ces facteurs étant tributaires de la stratégie de financement public), commencerait peut-être à le penser en tout cas.
Que dire des sans-abris, qui chaque hiver ont besoin, pour survivre, d’associations telles que les Restos du cœur, Emmaüs, la fondation Abbé Pierre, le secours populaire, et autres associations locales qui comptent largement sur la générosité citoyenne ? Ne pourrait-on pas agir mieux et sauver des vies avec un peu plus d’argent ? Allez savoir…
Qui plus est, tout ceci n’est qu’une infime partie du problème à venir. Le mois dernier sortait le rapport du GIEC sur le climat. Le bilan est unanime : alarmant et catastrophique. Pour la première fois, le rapport met en évidence noir sur blanc la responsabilité de l’activité humaine vis-à-vis du dérèglement climatique. Tu parles d’un scoop. Certes, mais ce qui est dénoncé depuis plusieurs décennies par des scientifiques « lunatiques » est aujourd’hui une vérité établie, officielle et reconnue. Par leur inaction effroyable pour faire bouger les lignes, les gouvernements de tous pays, à commencer par la France, seront de toute façon à placer sur le banc des accusés d’ici 20 ans, lorsque leur bilan, face au nombre croissant d’épisodes aux conséquences toujours plus désastreuses, dresseront la liste de mesures tout aussi ridicules qu’emblématiques, telle l’interdiction des plastiques à usage unique d’ici 2040 (pourquoi pas 2100 tant qu’on y est), la réautorisation des néonicotinoïdes, l’abandon des ambitions sur le glyphosate, etc. Le bilan de Reporterre sur l’ensemble du quinquennat du gouvernement Macron fait état de 53% de mesures négatives à l’égard de l’environnement, 24% neutres, et 23% positives. (Source : https://reporterre.net/Le-bilan-ecologique-de-Macron-89-mesures-negatives-depuis-2017)
« L’Islam est un mot magique »
Mais revenons-en à nos moutons suédois. Stockholm, c’est bien ça ? Quel rapport, me direz-vous. Il est une absolue nécessité que le monde comprenne bien ce que sont nos élites, nos dirigeants politiques, nos millionnaires et milliardaires en question. Il est vital d’entendre que leurs actes, si financiers et inoffensifs paraissent-ils, sont une des causes majeures de la défaillance mortifère d’un système dans lequel nous creusons nos tombes. Si les choses ont tant changé en 30 ans, ce serait une erreur de croire qu’elles s’arrêteront là. Il s’agit ici de délits, de crimes ou d’agissements légaux mais pas moins immoraux, qui font chaque année, indirectement, bien plus de morts que le terrorisme islamiste. Des morts invisibles, parce qu’invisibilisées. Cessons de nous faire duper par leur écran de fumée qui voudrait nous faire croire que la cause majeure de la décadence du monde, ce sont les familles qui fuient les bombes que nous mêmes, occidentaux, envoyons sur leurs maisons, ou encore Roger le RMiste (ou RSiste comme vous voudrez), véritable parasite avec ses 500 balles par mois. L’Islam est un mot magique, le leur, tout comme l’assistanat ou encore la fraude sociale. Mais le chômeur ne ruine pas plus la France que le musulman du bas de la rue ne menace de vous égorger chaque matin au coin de la boulangerie. Ils sont les épouvantails de Chomsky (voir vidéo ci-dessous) qu’il suffit d’agiter dans le but de protéger encore et encore les intérêts des intouchables de ce pays, ceux qui font les lois et qui s’en affranchissent impunément. « Il n’y pas d’argent magique » ? Magique, peut-être pas, mais de l’argent, il y en a, c’est certain. L’auteur de cette petite phrase fut d’ailleurs bien inspiré d’ajouter ce dernier mot, car c’est ce qui lui permet peut-être de ne pas se livrer au mensonge éhonté. Un peu comme « l’optimisation fiscale » permet à ses amis de ne pas tomber dans l’illégalité finalement.
Qu’ils soient nos dirigeants ou nos milliardaires (Bezos, Musk…), ils sautent les deux pieds joints sur l’accélérateur d’un bus qui se précipite inéluctablement dans le ravin, et duquel nous sommes tous les passagers impuissants et trop dociles. Aussi, lorsque j’entends qu’on s’émerveille jusqu’à prendre la défense de personnalités en tout genre qui ont participé, d’une manière ou d’une autre, à l’affaiblissement de nos services et de nos droits, tout en bouffant une bonne partie du crédit environnemental initialement alloué à l’ensemble de l’humanité, je ne peux m’empêcher de repenser à l’admiration protectrice, qu’un jour, des otages ont développée envers leurs bourreaux.
Alors, victime d’un système médiatique trop bien rôdé ou plus grande difficulté à concevoir les millions de l’évadé fiscal que les 500€ du chômeur ? Dans tous les cas, la dissonance cognitive est à son paroxysme.