Mais où est donc bien passé Omicron ? Comme pris de panique par les explosions qui font rage à moins de 2500 kilomètres de nos frontières, la pandémie semble avoir déserté toutes les rédactions des chaînes de télévision, des journaux, des sites d’informations et même les réseaux sociaux. De prime abord, on ne saurait mieux le comprendre. La situation est inouïe, plus une seule génération encore parmi nous n’a connu l’horreur des champs de bataille sur son propre sol. Le discours d’un seul homme vient de jeter l’émoi dans le monde entier, en agitant le spectre oublié, mais terrifiant de la menace ultime : l’arme nucléaire.
Depuis une semaine, tous les médias sont en alertes et on nous refait le même coup qu’il y a deux ans, à cette différence près que les bandeaux rouges et jaunes fluo ont tous troqué les lettres « E P I D E M I E » pour celles-ci : « G U E R R E ».
« Adieu Covid, je t’aimais bien », serait-on presque tentés de dire, tant nous réalisons aujourd’hui à quel point une angoisse en remplace perpétuellement une autre. D’ailleurs, où est passé le terrorisme dans tout ça ?
Ce merveilleux concept de chaînes d’information en continu, tout droit importé des États-Unis et qui s’est démocratisé chez nous dans les années 2000, participent à l’effervescence générale, car on peut y suivre, heure par heure, l’évolution de la situation. Quand on y réfléchit, quelle nocivité : nous abreuver à longueur de journée de nouvelles toutes plus horribles les unes que les autres et sur lesquelles nous n’avons absolument aucun moyen d’action, aucun pouvoir d’influence, tout cela ne faisant que créer un conflit interne insoluble en semant dans nos esprits des problèmes que nous ne pourrons jamais résoudre nous-mêmes. Quant aux réseaux sociaux, c’est pire. Presque chaque seconde sur Twitter, il est possible d’accéder à une information toujours plus inédite, grillant ainsi constamment la priorité aux grandes chaînes de télévision. C’est comme cela que j’ai appris la reconnaissance des séparatistes pro-russes par Vladimir Poutine en début de semaine, avant même que les journalistes ne l’annoncent en grande pompe sur BFM TV. Je fais donc ici mon mea culpa. Ces derniers jours, j’ai passé beaucoup trop de temps à suivre les moindres évolutions d’un conflit qui a réveillé mes angoisses les plus profondes. J’ai frénétiquement actualisé mon compte Twitter pour savoir ce qui allait potentiellement se passer dans les prochaines heures, si nous allions nous prendre une ogive nucléaire sur la gueule. Je suis resté éveillé jusqu’à 3h du matin pour suivre en direct l’allocution, à l’issue du conseil européen, quant à la réponse apportée à l’encontre de la Russie. J’ai été beaucoup trop connecté à tout ça. Et puis j’ai pris conscience que cela ne changeait absolument rien au problème. J’ai réalisé que le simple fait de me tenir au courant des évolutions une seule fois par jour, plutôt que constamment, n’allait pas changer la face du monde, mais que ça allait changer la manière dont je vivais ma journée. J’ai réalisé que le COVID n’existait plus et que, par conséquent, la gravité de la situation à mon échelle personnelle ne subsistait que par la surmédiatisation qui en avait été faite jusqu’alors. Nous voilà engagés dans un nouveau cycle de matraquage médiatique, celui de la guerre en Europe. La situation est anxiogène à juste titre, et il est important de la comprendre. Mais il est toxique de la subir.
« Absurdité totale du discours de l’extrême droite »
Ce qui me vaut cet article, c’est une discussion intéressante à laquelle j’ai pu assister ce matin sur Twitter. Sous une publication à propos de la guerre qui fait rage en Ukraine, un utilisateur avait commenté au moyen d’une image pour rappeler les horreurs des conflits israélo-palestiniens, syriens, libyens, irakiens et autres.
Quelqu’un lui avait alors répondu en ce sens : ce n’était pas le bon moment pour parler de cela, car si, en effet, ces conflits sont également à dénoncer, il vaudrait mieux le faire une fois que le conflit ukrainien est terminé. Je ne suis pas d’accord. Une telle vision du monde et de l’information reviendrait à hiérarchiser la misère, sous-entendant qu’il y aurait un ordre de priorité à ne pas galvauder, et qui revient de manière très brute à décréter que certaines vies valent plus que d’autres. Si dans l’instant et dans la vivacité de l’émotion, on peut être tenté de l’entendre, cela reste rationnellement inacceptable. La raison pour laquelle tous les conflits du monde « là-bas » ont aussi peu de considération à nos yeux d’occidentaux, c’est précisément parce qu’ils sont suffisamment loin pour que l’on n’ait pas à entendre les explosions et les cris qui y déchirent ciel et terre, nuit et jour. Maintenant que la guerre est au seuil de notre porte, nous commençons à prendre conscience de l’ensemble des tenants et des aboutissants d’un tel drame. Il est donc plus que bienvenu de ne pas refuser d’entendre la parole diversifiée qui voudrait rappeler que ce qui se passe aujourd’hui en Europe n’est ni plus ni moins que ce qui n’a jamais cessé d’exister à l’échelle planétaire, et que le confort de nos canapés d’angle nous a luxueusement permis d’omettre tout au long de notre vie. Car c’est ce parallèle qui nous permet de comprendre l’absurdité totale du discours de l’extrême droite. Pendant des années, leurs protagonistes se sont efforcés à nous expliquer que s’ils avaient été à la place des Syriens, si leur pays était sous le feu ennemi, ils prendraient les armes et iraient se battre pour leur pays, soutenant ainsi bec et ongles leur idéologie selon laquelle le principe même de réfugié de guerre ne devrait pas exister. La bonne chose à faire, c’est de te battre, pas de fuir.
En temps de guerre, il n’y a ni lâches, ni héros, il n’y a que des gens qui réagissent différemment face à l’absurdité humaine.
Xavier Viallon
Seulement voilà, maintenant que les coups de canon résonnent jusque dans le couloir d’à côté, le discours s’adapte. C’est un peu comme si on voyait débouler Teddy Riner devant chez soi un beau matin, alors que tout ce qu’on n’a jamais fait dans sa vie, c’est de l’avoir traité de « gros bâtard » sur Twitter le mois dernier. Le rétropédalage est tel, que pour ne pas risquer un claquage des ischio-jambiers, on y ajoute tout un tas de raisons qui voudrait légitimer l’accueil du migrant ukrainien tout en maintenant les têtes venues d’Afrique et du Moyen-Orient sous la surface de la Méditerranée. C’est ainsi qu’on a pu assister à des propos aussi lunaires que ceux-ci :
Et quand le double discours est mis en lumière par des montages aussi lumineux que ceux du compte Twitter Caisses de grève, la validité d’un tel raisonnement termine définitivement de se décomposer.
Il y aurait donc, après le bon et le mauvais chasseur des Inconnus, le bon et le mauvais migrant. Et pour faire la différence, il n’est pas nécessaire de s’emmêler les pinceaux bien longtemps, tout les sépare bien entendu : le bon migrant a le cœur qui porte à gauche, alors que le mauvais migrant, lui, a le cœur qui ne porte pas à droite. Et si ça ne suffit pas à vous convaincre, le bon migrant, c’est celui qui est blanc.
Février 2022 : l’ère du migrant occidental vient tout juste de commencer. Car entre les guerres, les crises économiques et les catastrophes climatiques, elle ne fait très certainement que commencer. Rien n’exclue d’ailleurs qu’un jour, nous en devenions un, à notre tour.