Comme de plus en plus d’habitants du monde, et particulièrement de Français, j’ai fait le grand saut, il y a deux ans, vers l’angoisse mais la liberté de l’inconnu. Pendant deux ans, j’ai traversé les interminables routes plates et sans virages de l’Australie, travaillant çà et là dans une ferme, dans une foire, dans un supermarché, dans une autre ferme, passant la plupart de mon temps dans ma voiture, le jour au volant, la nuit sur le lit installé à l’arrière, avec comme seul rechange le même jean, le même pull, le même short de bain et trois t-shirts, des toilettes lorsque disponibles, et une douche, souvent froide, parfois tiède, chaude par chance, encore plus rarement. Le confort dans sa forme la plus minimaliste. Je ne m’en suis jamais plaint, je l’adorais. Je chérissais ces nuits fraîches, à écouter les gouttes d’eau qui cognent sur le toit, 30 centimètres au-dessus de ma tête, sous ma couette à 20 dollars et sur mon matelas en mousse de 10 centimètres d’épaisseur, en songeant dans un sourire à la chance que j’avais d’avoir cette carcasse faite de verre et de taule pour me protéger du vent et de la pluie. Il faut dire que depuis tout petit, j’ai toujours préféré les petits espaces de vie aux grands, la tente dans le jardin à ma chambre, les appartements deux pièces aux maisons à trois niveaux. Me voilà donc comblé, dans mon 4×4/maison.
Sur mon chemin, j’ai fait beaucoup de rencontres de tout horizon, poussé dans la plupart des cas à communiquer dans une langue qui n’était pas la mienne. Il y’a une expression en particulier que j’ai été amené à utiliser dès mon arrivée et régulièrement dans ce pays anglophone : « back home ». Elle est très intéressante puisqu’elle signifie à la fois « à la maison », « chez moi », « dans mon pays », « d’où je viens »… Elle exprime selon moi l’idée de racines, d’origine, d’appartenance. Aujourd’hui de retour en France, après de longs mois d’excitation à l’idée de prendre tout le monde par surprise – j’avais pris un malin plaisir à maintenir mes proches dans l’idée peut-être amère que je ne repasserais pas à la maison avant d’enchaîner mon visa pour la Nouvelle-Zélande -, je suis de nouveau confronté à ce sentiment que j’avais découvert en revenant de Montréal trois ans plus tôt, toutefois moins intense puisqu’à la différence de ce premier retour, je sais que celui-ci n’est que provisoire, billet d’avion à l’appui. Un sourire naît en redécouvrant ce que j’avais laissé derrière mes pas quand je me suis dirigé vers la gare et qui n’a pas pris la peine de m’attendre pour changer : une rue en construction devenue une voie de tramway, la boulangerie du coin de la rue qui a fermé sa porte, un arbre en moins dans le verger devant la maison, une alliance au doigt de sa sœur ou un enfant dans les bras d’un ami. Ce sourire rapidement s’alourdit, lorsque je prends conscience que ce que je regarde n’est qu’un train qui s’en va et qui me laisse seul spectateur sur le quai.
Durant ces deux années à voyager, là où on l’avait laissée, la vie a suivi son cours et rien ne sera jamais plus pareil. Et heureusement pour ceux que l’on retrouve. Néanmoins, la longueur d’onde a changé, le lien est rompu, et le bilan personnel est sans appel : je n’appartiens plus à ici. En fait, je n’appartiens plus à nulle part. Comme si à partir voyager, j’en avais perdu quelque chose, ce sentiment d’être à la maison, d’être enfin rentré, d’être bien là où on est, inconditionnellement. Ce sentiment-là avait dû tomber de ma poche lors d’une randonnée quelque part sans que je ne m’en rende compte. Après tout, peut-on vraiment sentir quelque chose disparaître lorsqu’on l’a oublié ? Je déambule dans les rues étroites d’une ville qui ne me reconnaît plus comme étant l’un des siens, pas un visage ici croisé ne m’est familier, comme si depuis mon départ, elle les avait tous remplacés.
En y repensant, à chaque fois que j’avais utilisé l’expression « back home » en Australie, je ne le savais pas encore, mais je ne faisais référence qu’à des fantômes. Des habitudes, des souvenirs, et des racines auxquels mon bref retour en France ne me permettra pas de me reconnecter. Et bien souvent, alors que l’on me relançait en me posant la question « Where is home? », je répondais sans vaciller : « France ». Je réalise aujourd’hui que cette notion a trait à bien plus qu’un simple pays, qu’une culture ou que quatre murs toiturés. Pour citer Elvis, « Home is where the heart is ». Cela pousse forcément la réflexion à un niveau plus abstrait, mais finalement, se sentir chez soi ne signifie-t-il pas se sentir bien, tout simplement ?
La prochaine fois que l’on me posera la question « Where is home? », je répondrai : « I don’t know… I can only tell you where I come from ».
Merci pour ce superbe article !!